L’ensemble de deux grandes enceintes laissait couler le requiem de ce cher Camille tandis que je me servais un verre de Riesling.

Les copies infâmes de mes élèves jonchaient la table basse devant le futon que je rejoignais sans empressement.

« Mais qu’est-ce que je fous là ? »

La question m’échappa des lèvres, murmurée dans un cri de désespoir intérieur, face à cette constante aléatoire qu’est ma vie.

Quand on vient d’Angleterre, Hawkley pour être précise, en général on hérite du caractère anglais de sa famille, sauf quand on ne vit et ne voit que ses parents, qui sont autant anglais qu’humains.

Ils ne m’ont jamais rien caché quant à ma condition, leur condition, ce que nous sommes, ce que je pourrais devenir un jour. Etait-ce pour mieux me préparer à ce qui allait suivre ?

Peu importe, je fus envoyée à l’Académie ni trop tôt, ni trop tard, mais passons sur le refrain las de la jeunesse perdue, nous perdons tous notre temps à cette période de notre vie.

Je fus fille aimée et chérie de ses parents, c’est tout ce qu’il faut en retenir.
L’académie est réellement un lieu où vous en apprenez plus, tant sur vous-même que sur le monde qui vous entoure.

J’y ai vécu mon adolescence, les premiers changements…J’imagine déjà le mâle qui s’amuse à lire en moi, pensant aux premières règles, idiotie reptilienne ne pensant qu’à la reproduction. Non, je parle d’un autre type de changement, car oui : Nous sommes à Opleid, dans le cercle.

Enfin, à quoi bon dévoiler une jeunesse banale…Je suis d’ailleurs encore jeune, diplômée d’un doctorat et célibataire… En surface, ma vie est parfaite.

Pourtant, ceux qui me connaissent savent que je hais la période sombre de l’hiver.

Nous voilà déjà à l’Agnus Dei. Pauvre petit agneau que l’on égorge lentement, laissant le filet de sang teindre son poil.

L’Homme n’est pas mieux, il ignore simplement que certains agneaux sont des loups.

Prenons cette nuit, froide, silencieuse. Le spectacle se terminait dans le silence des applaudissements chaleureux de la foule, nous quittions paisiblement les lieux titubants après l’émoi de cette œuvre partagée.

La folie de l’instant ? L’ivresse d’un plaisir commun réclamant son dû ?

Je n’en saurais surement rien, rien de plus que mon hurlement et mon envie, cette envie que je dois réprimer chaque hiver.
Il voulait simplement profiter de l’instant, forcer mon refus quoi qu’il aurait pu lui en coûter.
Je voulais simplement le voir se noyer dans le pourpre de sa vie.

Mon verre est vide.

Je ne quitterai plus l’académie, les humains sont bien trop fragiles et ignorants.
J’ai pourtant essayé après l’obtention de mon doctorat, aller enseigner ailleurs. Mais imaginez, vous avez devant vous une pièce montée, un dessert voluptueux plein de promesses, puis vous vous en détournez, vous allez voir ailleurs, et rien n’a de saveur.

J’ai donc pris les armes, je me suis battue.
Avec moi-même, avec un stylo et une feuille.
Ce que je voulais ? Un poste à l’Académie, pas de préférence pour le poste, juste la capacité d’avoir un endroit où je n’aurai pas besoin de cacher ce que je suis, un endroit où ne pas être humaine sans bonus ne serait pas un danger permanent.

Le vin vole vers mon verre, il faut que je finisse mes évaluations.